La méthode verbo-tonale

LA MÉTHODE VERBO-TONALE DE CORRECTION ET D’INTÉGRATION PHONÉTIQUE (MVT)


Développée sur les bases des recherches de Petar Guberina (1965), la MVT insiste sur la
nécessité de mettre en place une réelle compétence phonologique en langue cible dès le début de
l’apprentissage.


Elle prend entre autres en considération la complexité de l’élaboration du signal de parole
pour favoriser la perception, l’identification et la catégorisation des caractéristiques phonétiques
spécifiques de la langue étrangère, ceci en donnant la priorité aux variations rythmiques et
mélodiques (aussi appelées prosodiques) qui structurent la langue et aux éléments non verbaux
qui participent à la structuration verbale du message. Les principes de la MVT intègrent le
système verbal (phonèmes, morphèmes, syntaxe et lexique) dans une proposition où il est
considéré comme dépendant du système vocal (rythme, intonation et vocalisation) et du système
non verbal, où contacts visuels, gestes, posture favorisent la prose d’indices dans la
communication orale. Les interactions orales sont d’autant plus complexes qu’elles s’inscrivent
dans le contexte global de l’apprentissage où les acteurs et l’objet de l’apprentissage (la langue)
s’influencent constamment (Intravaia, 2000, Cornaire & Germain, 1998, Bogaards, 1988).

Expliquer l’accent étranger à partir de l’acquisition de la langue maternelle
Au centre des interactions orales, il a été reconnu que les principaux responsables de la
prononciation du locuteur en langue étrangère sont la structuration de son système phonétique
maternel et son développement cognitif et affectif (Polivanov, 1931, Troubetzkoy, 1939). En
effectuant un bref retour vers nos origines linguistiques nous obtenons de précieuses
informations sur la manière dont on doit concevoir les activités d’intégration phonétique avec nos
apprenants.


Le processus d’acquisition de la langue maternelle débute bien avant la naissance des bébés.
Au travers du liquide amniotique, ce qui leur parvient dans un premier temps se limite tout
d’abord au rythme du langage. Ils ressentent la scansion syllabique plus ou moins marquée
transmise par les vibrations corporelles et osseuses. Aux alentours de la 25ème semaine, ils
commencent à percevoir les sons au travers du canal auditif : leur parvient alors la musique des
langues, c’est-à-dire les fréquences basses qui correspondent à l’intonation de la langue de leur
mère et des langues environnantes. Lorsqu’ils naissent, les bébés découvrent la précision de
l’univers phonique dont ils ne percevaient jusqu’alors que certains éléments, un peu comme
lorsqu’on découvre les paroles ajoutées à la base (rythmico-mélodique) d’un karaoké. Au cours de
leur première année de vie, les nouveaux-nés organisent les flux sonores. Ils regroupent les sons
de parole (phonèmes) qu’ils perçoivent selon les catégories (phonèmes, mots, groupes
rythmiques) qui leur paraissent pertinentes pour communiquer efficacement dans leur langue
maternelle. Progressivement, ce processus optimise leur traitement phonique et leur permet de
focaliser leur attention sur le contenu du message.


C’est ainsi que, lorsque, des années plus tard, l’apprenant communique en langue étrangère, il
continue spontanément à interpréter les modèles phoniques étrangers en suivant les habitudes
développées en langue maternelle. Il ne parvient pas à percevoir les différences phonologiques
(Kuhl, 1991, Pallier, Bosch & Sebastian-Gallés, 1997), ou, quand il les perçoit, il ne parvient pas
forcément à adapter sa production aux caractéristiques phoniques du système étranger (Dupoux
& Peperkamp, 2002, Peperkamp & Dupoux, 2002, Segui, 1993). C’est cette forme de « surdité
phonologique » qui est à l’origine de ce qu’on appelle familièrement un accent étranger. Cet accent
ne provient donc pas d’incapacités articulatoires mais de difficultés d’ordre perceptif qui touchent
autant le système phonologique que le système prosodique (Galazzi & Guimbretière, 2000).
L’apprentissage du système étranger est d’autant plus difficile que les éléments phoniques
sont radicalement ancrés dans son expérience, comme enracinés. On cherche souvent à corriger la
phonologie de la langue, qui paraît aussi visible et imposante qu’un arbre haut et résistant, mais
on oublie souvent que cet arbre n’a pu voir le jour et ne peut rester droit que parce qu’il est
profondément enraciné, tel le système rythmico-mélodique sous-jacent, aussi oublié que
fondamental.


C’est pourquoi un enseignement des langues étrangères basé sur un travail prosodique
(rythme et intonation) soutenu par le recours à la gestualité améliore efficacement la qualité du
travail phonétique. Il permet en effet de poser les bases à partir desquelles la discrimination des
phonèmes est facilitée.

Il est intéressant de considérer la situation d’enseignement/apprentissage à la lumière du
schéma qui présente les interactions en situation de communication orale. Ainsi, les éléments
phonologiques peuvent être corrigés avec et par les autres systèmes communicatifs :

le système prosodique. Composé du rythme et de l’intonation de la parole, il s’agit de la
structure (dite supra-segmentale) sans laquelle la production des phonèmes ne pourrait avoir lieu.
Le recours à des activités basées sur le rythme et l’intonation du langage et de la musique est
souvent très utile pour favoriser la perception des éléments phonologiques (Boureux, 2012,a) ;

le système non verbal, qui comprend les mimiques faciales, la gestuelle, la proxémique
qui accompagnent les productions. C’est grâce au regard de l’apprenant, et aux indices visuels
qu’il manifeste (mouvements des lèvres, mimiques, tension), que l’enseignant peut mesurer son
degré de disponibilité. C’est aussi grâce aux mouvements produits par l’enseignant et à sa
proximité, que l’apprenant peut capter des indices lui permettant de mieux percevoir les sons. Le
non-verbal permet aussi de souligner le discours, car la parole est geste. Il n’est pas aisé de
s’exprimer sans faire de mouvements. Alors que l’enseignement demande traditionnellement aux
apprenants une participation active en concomitance avec une forme d’immobilisme attentif,
l’attitude statique ne peut qu’être contre-productive dans l’enseignement des langues. C’est au
contraire par le mouvement et l’action que la langue est vécue et trouve tout son sens. Il convient
donc de lui redonner toute son expressivité en classe de langue (Billières, 1989). À la proxémique
géographique, il paraît intéressant d’ajouter une proxémique que l’on pourrait appeler perceptive.
Elle est composée d’éléments comme le regard et la voix qui peuvent traverser l’espace, donnant
l’impression de le réduire ou l’augmenter.

L’enseignement de l’oral par la MVT est ainsi valorisé par le recours à la gestuelle et aux
éléments rythmiques et intonatifs. Cette observation va de pair avec le constat initial de cet
article : le système prosodique constitue la clé de voûte pour une entrée privilégiée pour une
immersion des apprenants italiens dans l’horizon fascinant de la communication orale en français
autant au plan phonique qu’au plan affectif